Paradoxalement, bonheur et satisfaction ne sont pas les seuls sentiments à se bousculer dans le cœur de ce spécialiste de carrosseries Chapron. Une sorte de dégoût fleurant l'écœurement l'envahit lorsqu'il évoque les trois ans et 15 000 heures de travail que lui a valu cette exceptionnelle réalisation.
«Il faut que je digère tout cela», image-t-il. En dépit des obstacles rencontrés, des innombrables difficultés, des nuits blanches, Vincent Crescia n'a pourtant jamais songé abandonner. «Je ne pouvais pas. Même si j'ai connu des moments de découragement, mon honneur était en jeu.»
Au-delà de sa réputation européenne dans le milieu de la restauration de haut niveau, il avait promis à son défunt père qu'un jour il construirait une SM présidentielle. «Mais jamais je n'aurais imaginé que ça puisse être si compliqué!»
Ironie du sort, tandis que Vincent Crescia est amoureux de ce modèle depuis l'enfance, un grand producteur de cinéma parisien lui a demandé, voici cinq ans, s'il lui était possible de fabriquer une Citroën SM présidentielle. «ça paraît incroyable, mais je ne crois pas au hasard!»
Deux ans durant, le restaurateur de véhicules s'est heurté au premier obstacle: obtenir des autorisations de Citroën, de la veuve et de la fille d'Henri Chapron (créateur de la carrosserie de la SM), ainsi que de l'Elysée. «J'ai été reçu à deux reprises par le général du parc automobile de l'Elysée, à Paris.»
Appuyé par la famille Chapron qui connaît la qualité de son travail, aidé par la renommée du «Swiss made», Vincent Crescia se voit enfin décerner les autorisations nécessaires à la réalisation de son immense projet.
Il se lance alors dans une aventure dont il n'imagine pas encore l'ampleur. «J'ai retrouvé les gabarits du véhicule chez un collectionneur qui les avaient récupérés lors de la faillite de l'entreprise Chapron», raconte-t-il. «Rigidifier la caisse de la voiture n'a pas été une sinécure. Je n'avais pas de plans. Il a fallu faire des calculs très complexes. La pose du capotage hydroélectrique n'a pas été simple non plus.»
Au-delà des difficultés techniques rencontrées, la réalisation de ce projet démentiel a permis à son auteur d'aller au bout d'une passion que son père déjà estimait démesurée. «J'ai compris que l'on peut faire beaucoup de mal autour de soi et à soi-même lorsque l'on est obsédé par quelque chose. Cette expérience m'a enrichi, peut-être mûri, changé assurément.»
Question de la digérer, Vincent Crescia s'est mis à l'écriture.
Dans «Passion dangereuse», qui sortira en trois langues à la fin de l'année, il raconte son enfance, son père, leur passion commune pour les mythiques Citroën ou l'histoire d'un homme qui s'apprête à passer le cap de la quarantaine. /FLV
La voiture de Georges Pompidou
«En 1971, le président de la République française Georges Pompidou fait part de son vœu à Henri Chapron d'avoir une voiture plus longue que celle des présidents américains», raconte Vincent Crescia. Chapron crée alors la Citroën SM présidentielle, longue de 6 mètres, décapotable et équipé, à l'arrière, outre deux fauteuils, d'un siège destiné à un interprète.
Jusqu'à présent, seuls deux modèles, propriété du patrimoine national français, avaient été réalisés. C'était sans compter la rencontre de deux passionnés: Vincent Crescia et l'acheteur-collectionneur parisien. Trente-neuf ans plus tard, une exécution supplémentaire - «et non pas une réplique», insiste son concepteur - de la SM présidentielle de couleur «Shell Grey Rolls» et portant le numéro de production Chapron 7659, vient de sortir d'un atelier... saint-blaisois. Le véhicule arbore même une authentique cocarde de la République française, cadeau, «pour saluer une réalisation remarquable», du général chargé de gérer le parc automobile de l'Elysée.
Vincent Crescia s'applique à présent à rôder l'exceptionnel véhicule, avant de le remettre, d'ici l'automne, à son propriétaire qui pourrait bien l'enrôler dans l'un de ses futurs films. Mais avant cela, les amateurs de carrosseries rares peuvent se rendre à Saint-Blaise pour admirer la belle qui trône fièrement dans les locaux du garage du Lac. /flv